Le livre
Ce livre permet de découvrir la photographie de Willy Ronis. A mon avis, il mérite plusieurs lectures car chacune d’elles conduisent à mieux comprendre les précédentes. Cela me pose d’ailleurs une difficulté: malgré ma seconde lecture, j’ai encore besoin de revenir aux premières pages pour tenter de résumer ce qu’on peut en retenir.
Les images de Willy Ronis paraissent simples, mais elles provoquent des révélations. Le lecteur passe progressivement d’un sentiment de simplicité, de banalité (la scène photographiée est, en première vue, assez banale) au sentiment d’équilibre parfait, quasi-miraculeux, des éléments qui la composent.
Plus on observe ces images, plus on les apprécie. Maître de la prise de vue sur le vif, Willy Ronis est aussi un célèbre photographe du genre humaniste. Ces images sont chaleureuses et bienveillantes. Elles font du bien ! Nous les découvrons dans ce livre selon un cheminement que le photographe a lui-même choisi.
120 photographies, du quotidien, tranches de vies ordinaires, vagabondages et ballades libres de Willy Ronis pour se figurer son approche, son style. Ces photographies sont regroupées en 5 thèmes : la patience, la réflexion, le hasard, la forme et le temps. Il ne s’agit pas d’un cours de photographie. Toutefois, ce livre a aussi une valeur pédagogique, tant sur la photographie humaniste et le style « Willy Ronis » que sur les techniques de composition elles-mêmes. L’auteur explique sa démarche, présente ses planches-contacts, commente ses choix. Le lecteur visualise et comprend l’importance des éléments et de leur position, pour parvenir à l’image harmonieuse qui répondra aux exigences de Willy Ronis.
La patience
Le livre commence par le thème de la patience. Dans cette approche, Willy Ronis déambule sans intention lorsque soudain, le lieu retient son attention. Ici, le contexte, c’est le lieu.
Le photographe sent que quelque chose pourrait s’y passer et qu’il a une chance d’en faire une photographie. « Il a trouvé sa place » et la patience fait alors son travail. Il s’agit d’attendre qu’un sujet vienne se placer dans ce décor.
Attendre. Non pas quelque chose d’aléatoire, mais bien quelque chose de possible et de naturelle. A un moment précis, les éléments se mettent enfin en place tel que prévu, sur l’ensemble des plans qui composent l’image. C’est parfois pour placer un troisième plan animé qu’il aura fallu faire le plus grande preuve de patience, au risque même de perdre l’image. Le troisième plan c’est celui qui contiendra le vélo ou la personne venue miraculeusement fermer l’image…
La réflexion
Dans la première partie du livre, Willy Ronis identifie un décor et décide d’attendre avec patience l’événement qui viendra faire la photo. Dans cette seconde partie, il part d’un sujet et recherche le meilleur décor et le meilleur point de vue possible. Mais, si la réflexion permet de pré-construire l’image, elle n’exclut pas la patience…
A nouveau, les personnages sont précisément placés où cela est nécessaire, composant ainsi une scène de vie, dynamique et détaillée. Beaucoup de vie et beaucoup de détails sont regroupées dans les photographies de Willy Ronis. Rarement peut-on observer des photos prises sur le vif contenant autant d’information et d’indices pouvant révéler l’ambiance de la scène et la vie du sujet.
Dans la photographie de Willy Ronis, chaque portion de l’image joue son rôle. Toute l’organisation des plans, des lignes permet de rapprocher ou séparer les plans.
Séparer les plans jusqu’à en diviser la photographie de façon bien marquée telle une mosaïque.
Rapprocher les plans jusqu’à les faire apparaître de façon confondus. (en intégrant des personnes dans un fond artificiel, comme celui d’une peinture, comme par exemple la toile du sacrement de Napoléon).
Le hasard
« C’est sur le fil du hasard que j’ai cueilli souvent, les images qui me sont les plus chères »
Si le hasard apporte de façon inattendue les sujets à Willy Ronis, encore faut-il percevoir son potentiel et savoir l’exploiter… Pour le photographe tout est question de « vision globale ».
« on néglige souvent ce qui se verra dans le cadre. C’est ce qui déçoit la plupart des photographes amateurs lorsqu’ils sont confrontés à leurs résultats ».
Maîtriser la « vision globale », est une règle d’or, hors de laquelle il n’y a pas d’image équilibrée et sans quoi, même le plus beau des hasards, ne donnera rien.
La forme
Ce que l’on nomme « la composition » est le produit d’un certain équilibre soumis aux critères d’intelligibilité accessibles par le destinataire. L’artiste qui s’intéresse aux choses de la réalité se soucie avant tout du sens de ce qu’il donne à voir.
De façon comparable à un travail d’écriture, Willy Ronis propose de différencier le fond de la forme. Le fond est le message que l’on souhaite transmettre; la forme étant la manière de le dire.
Pour le photographe le challenge est donc de « maîtriser la forme au service du fond ». Dans le cas de la photographie sur le vif, le challenge est plus complexe car la forme n’est pas directement maîtrisable. Le photographe doit donc être attentif pour percevoir et rassembler dans son cadre, les éléments de compréhension nécessaires au lecteur; lecteur dont l’œil capte le sens de ce qui est rendu lisible par la composition.
Si la lecture ne peut être instantanée (l’œil ne peut lire instantanément), le photographe sur le vif lui, doit au contraire, capter et écrire instantanément .
Ce chapitre est la preuve par l’exemple de la puissance des compositions frontales et des lignes obliques. Le point de vue frontal capte et retient le regard alors que les points de vue de biais ont tendance à porter le regard vers l’extérieur du cadre, suivant des lignes fuyantes. L’exemple des photographies prises du café de France I et II (p118 et 119), de face puis de biais, met en évidence l’impact du point de vue.
Ce chapitre me révèle aussi la palette des moyens utilisés par Willy Ronis pour fermer l’image. Je note en particulier qu’il n’hésite pas à couper les personnes dans les groupes. Théoriquement, on ne coupe pas un personnage. Mais finalement, le regard n’y prête pas attention et l’exemple (p. 125) le prouve bien.
Le temps
« Toute photographie peut prétendre à écrire l’histoire. Que ce soit la petite histoire (scènes de vie, photos de famille) que l’histoire contemporaine. »
La photographie permet de saisir une scène de vie qui, des années plus tard, devient intéressante de retrouver. Elles témoignent des transformations, de ce qui a disparu et de ce qui demeure. Willy Ronis s’intéresse d’ailleurs à remarquer ce qui change et ce qui n’a pas changé.
On s’imagine facilement l’évolution des choses. Mais l’absence de changement parait ici encore plus frappante et originale. Approche « à contre-pied » intéressante…
Dans ce chapitre, le temps est aussi une variable qui permet à Willy Ronis de s’amuser en rapprochant des scènes de vie, prises en des lieux et à des moments différents. En comparant ces images, Willy Ronis, semble pouvoir démontrer la possibilité surréelle de la répétition de la vie dans le temps et l’espace…
Petite note sur les techniques de composition des images de Willy Ronis…
Pour s’inspirer…
La précision de la composition de Willy Ronis donne à ses photographies un équilibre et une harmonie remarquable. Pour moi, l’intérêt des images de Willy Ronis provient moins du sujet en soi que de sa symbiose avec les éléments qui l’entoure. Cette symbiose repose sur de nombreuses composantes : organisation des plans, utilisation de lignes directrices, choix de point de vue, recherche de rythme. Quelques points, notés ci-après, m’ont particulièrement intéressés.
Choix du point de vue : la plongée
« Une prise de vue en plongé permet de donner une égale importance aux personnes » (p. 136, exemple du groupe de personnes à table.)
Effectivement, le point de vue en plongé domine dans cet ouvrage. La plongée donne une lecture aisée de la scène car tout se voit : les plans se succèdent de bas en haut et la scène est complète. Tout est parfaitement lisible.
Organisation des plans
« Il faut que tout soit rassemblé dans le cadre selon un ordre excluant la confusion, avec une répartition équilibrée sur tous les plans. »
Les images de Willy Ronis comportent de nombreux plans successifs, chacun témoignant d’une scène de vie indépendante, tout en contribuant l’équilibre à l’ensemble. La densité des « choses à voir » parait impossible à rapprocher « sur le vif ». Pourtant… Willy Ronis y parvient, du premier plan jusqu’aux plans du fond, tout est lisible, net, placé, et bien bordé : l’image capture le regard du lecteur et reste fermée.
- Le premier plan prend généralement beaucoup d’espace, parfois plus que le sujet. Cela donne beaucoup de profondeur à l’image et d’espace autour du sujet.
- Les plans du fond comptent aussi beaucoup. C’est là un enseignement majeur pour moi. Bien que confinés dans un espace plus restreint, les plans du fond sont détaillés et attractifs. Ils incitent le lecteur à traverser l’image. Willy Ronis explique chercher et attendre l’élément qui devra prendre place dans le fond avant de déclencher. Il peut s’agir d’une voiture, d’un vélo (La vendeuse aux Puces, p. 16) ou d’une personne qui vient habiter l’espace. Le plan du fond comporte souvent un signe distinctif qui permet de localiser l’image. (Exemple p. 38 Notre Dame de la Garde , p. 37 Charleroi, p. 30, La Tour Eiffel, p. 24 Prague).
Utilisation des lignes
Les plans et les lignes travaillent ensemble. Les lignes ont une place de choix dans la composition des photographies de Willy Ronis. Elles formes les axes fuyants de l’image qui portent le regard, séparent les plans, encadrent le sujet, ou au contraire, se croisent pour former un point de convergence.
Ce dernier point m’a surpris. Le photographe n’hésite pas à mettre un champ de porte en plein milieu du cadre ou encore deux barres croisées (exemple du bovin retenu par deux barres – p. 120.) Il est intéressant d’observer que de nombreuses photographies bénéficient de la force créée par le croisement de lignes, convergentes au niveau même du sujet (fumeurs assis autour d’une table dont les bras qui forment des lignes obliques; regard de la fillette qui croise la diagonale de la voiture – p. 142).
Les lignes forment aussi de magnifiques triangles dont la base coïncide avec le bas de l’image. Le Café de Paris I par exemple, est un triangle porté par des taches blanches. De même, « Sieste à Champigny » ou encore « sieste à la défense » ou encore, p. 117, les gens allongés, en regard avec avec une voile de voilier…
Du rythme
Dans le chaos général de la scène photographiée, un personnage apparaît. Il s’agit d’une petite fille à Alger, d’une grand-mère au marché, d’une femme à la boulangerie.
Dans ces photos, la lumière met d’abord en évidence le sujet. Mais, le rythme, créé par le contraste de zones de mouvements et de calme contribue à isoler le sujet. Nombreux sont les exemples ou le temps semble s’arrêter et former comme une bulle autour du sujet.
Le jeu du rythme repose sur les mouvements, les lignes et les répétitions de motifs (les mains p 35, les têtes p33, les cabines p31, les ronds de tuyaux p29, des silhouettes p27). C’est un jeu graphique qui conduit le regard dans l’image et le focalise progressivement vers le point d’intérêt.
Voilà quelques note sur ce livre qui permet à la fois de découvrir la photographie de Willy Ronis, mais aussi, d’étudier son approche pour y puiser de l’inspiration… chacun à son niveau.
D’ailleurs, si malgré mes efforts, mes explications paraissent confuses ou incomplètes, c’est probablement que ce livre mérite l’analyse de chacun.
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